« Les démons », une Dolce Vita de Simon Liberati

Cela commence à Fontainebleau, dans un étroit château, Les Rochers. Les premières lignes du roman me donnent envie d’enfiler ma robe couleur de Lune et d’empourprer mon salon d’une lumière voilée de chandeliers. Je m’attends à voir apparaitre les vampires Stefan et Damon  dans ce décor que j’imagine proche de celui de la maison des frères Salvatore dans Vampire Diaries. Mais les démons désoeuvrés, incestueux et décadents de Simon Liberati préfèrent l’alcool et l’opium à la couleur pourpre de l’hémoglobine. Et les noms des héros du livre sont Serge, Taïné et Alexis Tcherepakine.

Simon Liberati nait en 1960, les sixties sont l’époque de prédilection de ses romans, une période qu’il n’a pas vraiment connue, « la fête où vous n’étiez pas » nous explique-t-il dans sa présentation de l’ouvrage à la librairie Mollat, une fête flamboyante qui devient le terreau de son inspiration, tout comme Patrick Modiano qui nait en 1945 place tous ses romans dans le Paris des années post seconde guerre mondiale. Un point commun entre ces deux écrivains ? Peut-être une ambiance brumeuse et poétique, pour Liberati créée par le brouillard éthylique de ses personnages, pour Modiano par un brouillard amnésique.

Serge, le polytechnicien qui n’aime pas les films de la Nouvelle Vague, saoul au volant d’une Masérati se tue. Taïné la beauté préraphaélite survit, mais défigurée. Aux États-Unis, la chirurgie esthétique réparera son visage. Alexis le frère cadet est exclu du collège Stanislas qu’il considère comme une horreur. Il veut vivre la vraie vie. Mais qu’est-ce que la vraie vie ? Où la trouver ? Dans le travail et le dépassement, ou dans l’oisiveté frivole et le désoeuvrement.

Truman Capote et ses Prières exaucées inachevées, Andy Warhol, Brigitte Bardot, personnages réels, artistes, gravitent autour des tentatives de création poussives d’une jeunesse qui choisit facilement la fête, au détriment d’une vie plus ascétique, plus favorable à la création littéraire qu’elle prétend vouloir représenter. À défaut d’écrire avec talent, ils sont prêts à devenir les personnages du roman de Capote. Tel Marcello dans la Dolce Vita, journaliste mondain malheureux, promenant son désenchantement de fête en fête, via Veneto, dans le château d’une aristocratie rescapée du fascisme, dans une fête orgiaque sur la plage d’Ostie, Simon Liberati promène sa plume très littéraire dans les fêtes parisiennes, où l’extravagance de Truman Capote et Andy Warhol deviendrait fellinienne, à Cannes où Brigitte Bardot pourrait être Anita Ekberg, à Rome, à Bangkok, où chez Marayat et Louis-Jacques l’ennui du privilégié s’affranchit des limites. Dans La Dolce Vita, la jeune fille botticellienne de la plage d’Ostie est l’ange blond qui peut-être redonnera un espoir à Marcello. Peut-être. On le sait, dans la vraie vie, Eva est l’ange blond de Simon Liberati. L’écrivain sauvera-t-il ses personnages de la vacuité festive des opiacés dans une suite de ce qu’il annonce être une saga ?

Je découvre l’auteur avec ce roman « Les démons ». Ses personnages, je ne les aime pas. Mais après tout, est-ce qu’on aime toujours les portraits des grands peintres ? Car Simon Liberati est un peintre. Et ce tableau, « Les démons », est sans doute l’un des romans les plus littéraires de la rentrée littéraire 2020.

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