Eric Laurrent a changé d’éditeur, mais il garde le sens de l’ironie du titre et le goût pour la phrase proustienne constellée de mots sollicitant la compagnie d’un dictionnaire. Dans son précédent roman, Un beau début, publié chez son ancien éditeur Les éditions de Minuit, la vie de Nicole Sauxilange, call me Nicky Soxy, nous était déjà contée, le roman se concentrant sur l’enfance et l’adolescence de la future starlette des années 80 à la gloire éphémère (Nicky Soxy ou le désir d’être vue). La belle Nicky Soxy devait manquer à son créateur, elle se retrouve à nouveau sous les projecteurs de ce roman de la rentrée littéraire 2020, publié chez Flammarion.
Une photo dans le magazine de charme Dreamgirls au début des années 80, strip-teaseuse de cabaret, plastique vénusienne repérée sur un panneau publicitaire, atterrissage sur les plateaux télévisés de la Cinq « beaujolais-champagne » sous l’ère Silvio Berlusconi. On est dans les années 80, souvenez-vous de ces filles qui décoraient la scène de leurs attributs naturels et de leurs paillettes. Nicky Soxy est de celles-là, mais la plus spéciale de toutes, celle qui fait succomber, la fille de rêve sortie d’une conque couverte d’algues et apparue en Vénus à une heure de grande écoute sur les écrans télévisés imprégnés de l’empire berlusconien.
L’auteur nous emmène de son écriture maniériste dans les nuits blanches parisiennes, aux Bains et autres lieux branchés parisiens, où les substances illicites blanchissent les narines. La notoriété de Nicky Soxy se construisant sur elle-même, alimentée par la « Chronique du nyctalope » de Libération, référence aux Nuits Blanches d’Eric Dahan. C’est parce qu’on parle d’elle que Nicky Soxy existe. On pense à la série Gossip Girl, on revisite les années 80 et ses cocorico girls, époque prequelle des stars de la téléréalité.
On pourrait la mépriser cette Nicky, on pourrait n’y voir qu’un objet du désir, inculte et n’ayant aucune ambition de pallier ce manque, dont la seule préoccupation qui tourne à l’obsession est celle d’exister, d’être connue. Eric Laurrent écrit sans prendre parti, sans juger. Il ne propose aucun suspense, pourquoi donc, puisque pour qui a lu Un beau début, l’issue on la connait. Pourtant, selon ma lecture, le charme irresistible de Nicky Soxy ne réside pas seulement dans sa plastique vénusienne. Plusieurs personnes qui croisent le chemin de Nicky s’attachent à elle, hommes ou femmes, ils prennent soin d’elle, la récupèrent lorsqu’elle se retrouve au fond du trou. Parmi ceux-là, se trouve même le chroniqueur cultivé Saint-Cirq, incarnation littéraire d’Eric Dahan, amant temporaire de la muse, souvent amusé par l’enthousiasme candide de cette jeune fille qui dans sa jeunesse aux airs d’un roman de Zola, a connu maltraitance et misère et ne s’est pas complètement habituée au luxe.
Beaucoup d’entre nous avons navigué sur Internet, en archéologues des nuits blanches parisiennes, cherchant à retrouver quelque vestige d’une réelle existence de Nicole Sauxilange. Peut-être qu’en lisant « Night reporter » d’Eric Dahan, on trouvera quelque trace d’un alter ego de la Venus du paf… mais j’en doute. Autant lire et relire les 243 pages stylées d’Une fille de rêve pour y trouver d’autres indices, d’autres mots compliqués, d’autres soirées.
« – Une femme comme ça, non c’est sûr, je n’en ai jamais vue (…) – C’est plus qu’une femme (…) – Ah bon ? Et c’est quoi alors, selon vous ? – je ne sais pas… Autre chose… Un rêve, peut-être. » p. 190
Une fille de rêve, Eric Laurrent, Flammarion