« Courir encore », de l’autre côté du pont avec Olivier Vojetta

« Courir encore », ce titre revêt désormais une allure joliment ironique si l’on sait que le roman est publié en mars 2020, nous étions au coeur du premier confinement, et que devant les librairies, on trouvait porte close. Le roman a su résister au caractère éphémère des rentrées littéraires et a préféré le marathon au sprint. Début 2022, il est encore là, et des affiches dudit roman habillent les murs des stations de métro parisiennes.

« Courir encore » est la retranscription d’une suffocation, celle du narrateur, faisant écho à celle d’Hippo, le bébé mort in utero quelques années auparavant. Pourquoi avoir accepté de participer à cette course pour soutenir une cause ? Se retrouver sur le même trajet que celui emprunté le matin où il apprend que le coeur d’Hippo avait oublié de battre fait sourdre un flux de pensées intense, ininterrompu. Enfermé dans sa tenue de course, un cuissard en lycra, des chaussettes de compression et ce tee-shirt rose layette, le narrateur est au bord de l’asphyxie. Le trajet semble interminable, la chaleur dans le train qui l’emmène sur le lieu de la course l’indispose, le tee-shirt rose jouant le rôle allégorique de cette suffocation. Il déteste la sensation d’être coincé, « dire que Hippo a peut-être ressenti la même chose, ce sentiment claustrophobe de ne pas pouvoir s’échapper alors qu’il suffoquait. »

Le roman, c’est ce trajet dans un tee-shirt rose qui colle à la peau, c’est une course faisant ressurgir le souvenir d’Hippo, il aurait voulu l’appeler Hippo pour Hippolyte Girardot dans « Un monde sans pitié », c’est ne pas être certain d’y arriver à la faire cette course pour Hippo. Dans l’angoisse et la chaleur ressenties, tout l’enfoui et tout ce qui fut fui en courant les marathons remonte à la surface. L’enfance sans père et les amants de la mère durant l’adolescence, la prise de conscience du faux self construit durant les années Golden boy dont la vacuité devient impossible à vivre, après Hippo. Dana est l’âme soeur aux yeux bleu vert délavés, seul être qui lui offre un sentiment de complétude, mais qui pourtant ne sait rien du monde intérieur qui habite le narrateur. Ce dernier ne cesse de questionner, dans un désordre narratif reflétant son désordre intérieur, mais il faut les courir ces 42 kilomètres, pour en faire le tombeau d’Hippo. Il faut courir encore.

« Courir encore » est écrit dans une langue intérieure, flux de conscience joycien. Olivier Vojetta, en de longues phrases, écrit ce souffle qu’il a du mal à calmer et qui à défaut de s’apaiser, se trouve en quelque sorte fluidifié dans le déplacement physique du narrateur, canalisant ainsi le fleuve intempestif des pensées, dans cette traversée, pour se rendre de l’autre côté du pont.

J’ai aimé, j’ai été séduite par une écriture sincère, par ces longues phrases, par ce monologue de cent pages. À aucun moment Oliver Vojetta ne laisse entrevoir les coulisses de la technique narrative, car il s’agit là d’une transe, comme l’auteur l’indique lui-même, une écriture d’overthinking, l’auteur nous aspire, dans sa pensée. J’ai aimé, car c’est la langue dans laquelle je me parle, ce texte rédigé dans le langage désordonné qu’est celui du monde intérieur. Un roman de la solitude du coureur de fond qui mérite une visibilité bien au delà des couloirs des stations de métro ! Avis aux éditeurs !

La citation

« Dire que notre vie se joue ainsi en quelques secondes, mourir, tomber amoureux, faire un pas de côté, si on veut les additionner, ces rares moments qui infléchissent vraiment le cours de nos existences, cela ne fait pas grand-chose au bout du compte, comparé à toutes ces heures où l’on se laisse seulement porter par le flot, à toutes ces semaines, ces mois, ces années où l’on ne fait qu’attendre l’événement décisif ou la rencontre providentielle qui changera le cours de notre vie et l’imprimera de sa silhouette. »

« Courir encore », Oliver Vojetta, éditions Maïa