Sous le charme des « Noeuds de vie » de Julien Gracq

« Personne n’écrit plus aussi bien que cela de nos jours. C’est un fait, et c’est une perte de substance dont on peine à deviner comment la littérature saura se relever. » C’est ainsi que conclut l’article publié par Maurice Mourier sur le site En attendant Nadeau à propos de ces fragments, ces « Noeuds de vie », publication posthume de Julien Gracq.

Julien Gracq décède en 2007 et lègue 29 cahiers de fragments, les Notules, à la Bibliothèque Nationale, dont certains inédits. Ceux-ci ne pourront être divulgués que 20 après la mort de l’écrivain. En attendant 2027, nous avons droit à la publication de ces « Noeuds de vie » articulés en quatre rubriques, Chemins et rues, Instants, Lire, Ecrire.

C’est par le portail magique de cet opus en quatre parties que j’entre dans le monde de Julien Gracq, en me demandant comment, si longtemps, j’ai pu m’en passer. Il y a là, comme un cadeau littéraire dans cette exigence, ce sens de l’art poétique, cette honnêteté intellectuelle qui n’aura sans doute pas valu que des amis à l’écrivain. Pour mémoire, Julien Gracq refusera le prix Goncourt décerné pour son « Rivage des Syrtes » en 1951. Un refus d’appartenir à ce monde de lettrés dont il se méfiait.

Dans la première partie, Chemins et rues, je flâne sur les rives du Lac Léman et reconnais même quelques lieux de mon enfance. « Naître en Suisse : tous les souvenirs d’enfance sont des cartes postales. » Suivent les Instants, je me sens dans un état d’envoutement poétique avancé, provoqué par le style de Julien Gracq. Je me laisse porter par ces Noeuds de vie, « une sorte d’enlacement intime et isolé, autour duquel flotte le sentiment de plénitude et de l’être-ensemble. » Dans Lire et Ecrire, sont rassemblées les réflexions littéraires de l’auteur ainsi que ses critiques de la critique littéraire. Julien Gracq oppose l’approche intuitive à l’art conceptuel. Il questionne l’art poétique. Il privilégie le voyage à la destination.

Si le roman a de la qualité, c’est la navigation dans laquelle il m’embarque, et non les ports et les contrées qu’il visite, qui est le voyage : le texte d’une fiction est poussé de bout en bout, et autosuffisant. Il s’agit seulement que la puissance du mouvement soit assez forte pour annuler toute idée de destination. »

Selon Julien Gracq, l’établissement d’un plan préalable à l’écriture d’un roman est un frein à la vie de celui-ci. C’est l’écriture-mouvement qui mène selon lui à la maturité stylistique.

C’est de l’école buissonnière de l’écriture, et non de l’impeccable programme scolaire de sa construction, que le roman tirera seulement son charme et sa saveur. »

À lire ces fragments, s’enclenche alors en moi une réflexion personnelle sur mes propres attentes de mes lectures, de mes écrits. Julien Gracq et son amour de la langue nous envoûte, il suscite également une réflexion sur ce que sont une oeuvre idéale et un art poétique. J’invite tous les amoureux des mots à lire les oeuvres de Julien Gracq, une littérature exigeante mais dont la dimension poétique ne laissera pas grand monde sur le palier.

« Noeuds de vie » de Julien Gracq, éditions Corti