« La Disparition du paysage » de Jean-Philippe Toussaint, une attente dans la brume

Jean-Philippe Toussaint publie ce texte court « La Disparition du paysage », destiné au théâtre. Le narrateur ne se souvient plus, ne sait plus si sa mémoire lui joue des tours. Immobilisé, en convalescence dans une chambre, à Ostende, il perd progressivement la conscience. Le monde extérieur se brouille, l’horizon se bouche à travers la vitre de la pièce, tandis que le flux de pensées tente de maintenir son « cours inépuisable ».

Le paysage culturel dans la brume

La sortie du texte de « La Disparition du paysage » aux Éditions de Minuit aurait dû être concomitant du spectacle au théâtre des Bouffes du Nord, joué en solo par Denis Podalydès, mis en scène par Aurélien Bory. Le spectacle est reporté au mois de novembre 2021, la disparition (momentanée) du paysage culturel et le report du spectacle venant comme un écho indésirable au texte…

Du côté de Molloy

Dès les premières lignes, j’ai tout de suite été tentée par un angle de lecture beckettien et imaginé qu’on était dans ce court texte, sur les traces de « Molloy » de Samuel Beckett. Un narrateur qui ne peut plus se mouvoir, immobilisé dans une pièce, qui ne se souvient plus très bien pourquoi il est là, ni depuis combien de temps, perte de la chronologie et de la notion du temps. Il attend… Godot, ou lui-même, ou autre chose ou peut-être rien. Progressivement, le paysage devient de plus en plus nébuleux, jusqu’à ce mur se dressant dans son champ de vision par lequel le monde extérieur s’éteint.

« La Disparition du paysage », c’est sincèrement le Jean-Philippe Toussaint que je préfère, et un peu comme l’auteur le dit lui-même dans « L’urgence et la patience » à propos de Samuel Beckett, on échouerait nécessairement à remplacer les mots par les mots. Ce texte, il faut tout simplement le lire, il faut rentrer dans l’esprit du narrateur et y vivre le temps de cette lecture. Il y a cette idée de l’absence d’après, cette tentative de maintenir la clarté d’esprit et le cours de la pensée alors que le narrateur sent bien que le corps n’est plus et que progressivement, le paysage disparaît et la brume puis le crépuscule envahissent l’esprit…

Après lecture, l’envie d’assister au spectacle n’en est que plus présente, on imagine que sur scène, joué par Denis Podalydès, la puissance du texte n’en sera que décuplée. On patientera donc dans la brume culturelle, on note les dates du spectacle et de la tournée et on se dit que ça nous laissera du temps pour relire la quarantaine de pages de « La Disparition du paysage », une oeuvre qui m’a énormément plu. La rentrée littéraire commence très bien !

La citation

« Le monde extérieur disparaît progressivement autour de moi, les décors s’estompent. Un paysage pluvieux flotte sous mes yeux dans une brume indifférenciée, et je me laisse porter par le cours souverain de la pensée. »

A propos de Jean-Philippe Toussaint

Jean-Philippe Toussaint est né à Bruxelles, il est écrivain et cinéaste. Son premier roman, « La salle de bain » est publié en 1985 aux Éditions de Minuit. Le manuscrit était resté en souffrance dans le bureau d’Alain-Robbe-Grillet parti enseigner aux États-Unis et fut découvert un peu par hasard par Jérôme Lindon qui contacta alors Jean-Philippe Toussaint. L’auteur reste fidèle aux Éditions de Minuit où sont publiés tous ses romans. Il est lecteur de Marcel Proust et de Samuel Beckett, dans « L’urgence et la patience », l’auteur partage son expérience de lecteur et d’écrivain.