Une année après ses Chroniques d’une station-service, Alexandre Labruffe revient de Wuhan avec un court récit fragmenté de ses séjours dans cette ville à la notoriété désormais virale. Alexandre Labruffe, c’est l’un de mes chouchous du moment. Dans Un hiver à Wuhan, publié aux éditions Verticales, je retrouve l’anti-héros, sympa et qui l’air de rien, pointe quelques trucs du doigt, ou du clavier Azerty ou Qwerty. Un personnage entre un Woody Allen pour l’auto-dérision et l’hypocondrie et un Frenchy Mister Bean auquel on ajouterait un soupçon de rock and roll attitude.
« Avez-vous entamé un journal de confinement ?
– Surtout pas ! L’écriture thérapeutique me rend malade. »
Alexandre Labruffe séjourne à plusieurs reprises en Chine. Un stage de contrôle de qualité de huit mois en 1996 suivi d’autres séjours dont ce retour à Wuhan en novembre 2019. Le confinement, le coronavirus, je n’avais pas vraiment envie que la rentrée littéraire soit elle aussi contaminée par une actualité dont on sature et qu’elle perde le goût de la découverte et de l’évasion. Mais Un hiver à Wuhan, c’est surtout le récit d’une ville de Chine, moitié poussière, moitié Chanel. À choisir, j’opte pour Chanel 😉
« Le ciel !!! On voit le ciel.
Elle s’arrête de marcher dans la rue et prend une photo du coucher de soleil avec son smartphone. Je regard autour de moi. Tous les Chinois se sont arrêtés pour prendre la même photo du ciel qui s’embrase. »
Pour qui n’a jamais mis les pieds en Chine, ou en tout cas dans cette méga-cité au milieu de nulle part qu’est Wuhan, le récit restitue en peu de pages la pollution constante de l’air qui ne laisse jamais voir le ciel. La moyenne de la concentration des particules fines y est dix fois plus importante qu’à Paris et laisse un arrière-goût dans la bouche. Wuhan est une ville de science-fiction aux gratte-ciel post futuristes. La dématérialisation de l’argent, la dématérialisation de la consommation, la digitalisation totale de l’être se sont substitués à l’argent liquide, aux supermarchés désertés. Wuhan, parfaite muse pour une dystopie, nous dit l’auteur.
« Depuis un mois déjà, une sensation étrange. Celle d’être surveillé. »
Pas de Google, pas de Youtube, ni d’accès aux journaux français. Un smartphone qui surchauffe, des objets déplacés, des caméras de surveillances partout. Vivre à Wuhan, c’est vivre un conte paranoïaque dans lequel on ne sait plus dans quelle archive de son ordinateur planquer le récit qu’on est en train d’en faire.
« Une question dans cette fresque : que peut la culture quand le monde se désagrège ? »
Lire Un hiver à Wuhan après ces mois de crise sanitaire, cela résonne inévitablement. L’hyper matérialisation, l’hyper urbanisation, cette vie verticale, aux pieds des gratte-ciel, ce Gotham City chinois, on n’a vraiment pas envie qu’il devienne la norme. Chacun répondra librement à cette question de ce que peut la culture… Lire ce récit, c’est déjà un début de réponse.
« Un hiver à Wuhan » d’Alexandre Labruffe, aux éditions Verticales.