« Afin de pallier les carences de l’État, il nous est demandé aujourd’hui de confectionner nous-mêmes nos masques. (…) Je poursuivis mes essais, choisissant des tissus plus fins, plus soyeux. Puis ma compagne me demanda d’arrêter de lui bousiller ses culottes. »
La chronique du confinement d’Éric Chevillard. Jour 20. Le Monde, 7 avril 2020
Depuis quelques jours, la denrée rare, le Graal introuvable, cela n’est plus ni le paquet de pâtes, ni la farine, pas même le gel hydro alcoolique, mais … le ruban élastique. L’ingrédient quasi indispensable à la confection du masque anti-projections.
Dans ce contexte de confinement, ceux qui s’adaptent, les champions confinés, ce sont les accumulateurs. Vous savez, ceux qui ne trient pas, ne jettent jamais rien, gardent tout un tas de trucs parce que « ça peut toujours servir » et n’ont jamais entendu parler ni de Feng Shui ni de Danshari. Et puis il y a ceux qui comme moi, rangent, trient, allègent, déposent des sacs de vêtements auprès d’associations et doivent désormais désespérément fouiller au fond de leurs tiroirs pour trouver un vieux drap de coton et du molleton avec lesquels confectionner des masques dits alternatifs.
Parvenue à dégoter quelques mètres de tissu conformes à la norme Afnor sur le haut d’une étagère de l’armoire, demeurés là probablement parce que j’avais eu la flemme d’aller chercher un escabeau, je ressors ma machine à coudre qui prenait la poussière, visionne une nouvelle fois le tutoriel youtube qui fera de moi la couturière que je n’avais pas prévu de devenir et me rends compte que mes quelques mètres de ruban élastique ne suffiront pas à ma petite entreprise. Ces deux paquets de ruban élastique, c’étaient déjà des rescapés du rayon mercerie du supermarché, qui n’avaient pu atterrir dans mon chariot que par la combinaison de deux facteurs : le fait d’avoir été mal rangés dans le rayon et mon petit don pour trouver les trèfles à quatre feuilles.
Courses au supermarché, dans la foulée je retourne au rayon mercerie, sait-on jamais. Pas d’élastique en vue. Internet, merceries en ligne, « l’article n’est plus en stock », « indisponible », « rupture de stock », bon, sans vous énumérer toute la réthorique possible pour le cas décrit, ça se présente très mal. Il faut passer au système D.
Alors je réfléchis à la suralternative, le masque alternatif étant déjà une alternative aux carences de l’État. Je parcours ma tenue de télétravailleuse (Covid19 – Journal de bord, 3 avril 2020, délabrement stylistique) , soit un bas de jogging délavé, et je vois le cordon élastique pendoullier. Qu’à cela ne tienne ! Je tire ! Au moins un mètre du précieux cordon sort des coulisses ! Je fonce récupérer mon stock de joggings et procède de même, sans états d’âmes quant aux conséquences stylistiques de mes actes visant prioritairement à circonscrire mes postillons.
Le surlendemain, un premier masque, mon prototype, est assemblé. On passe à l’essayage et à l’ajustement des précieux élastiques. Devant la glace, le délabrement stylistique est passé au stade 2. Il y a mes cheveux à la coupe indéfinie, le jogging délavé tombant désormais à mi-fesses, et le masque qui me dispensera sans doute pour plusieurs semaines, voire plusieurs mois, de me servir de ce dernier objet, vestige symbolique du style pré-confinement 1920 – 2020 : le tube de rouge à lèvres…