Covid19 – Journal de bord, Dimanche 15 mars

« J’ai demandé à mes étudiants de l’atelier d’écriture de commencer à tenir un journal. Tout le monde devrait le faire. Nous traversons un moment dramatique certes, mais historique. Du jour au lendemain, notre vie quotidienne est devenue singulière, étrange, et incompréhensible. » Roberto Ferrucci, Je vous écris d’un pays fermé, l’Italie Tribune Le Monde, 14 mars 2020.

Journal de bord d’un confinement

J’écris de la campagne marseillaise, pas loin des collines de Marcel Pagnol. Dans toute la France, depuis hier minuit, les bars, les restaurants, les salles de sport, les musées, les centres commerciaux, les lieux publics « non indispensables » sont fermés. La veille déjà, la plupart des théâtres avaient tiré le rideau après le rétrécissement de la jauge des rassemblements à cent personnes. Jeudi soir, écoles fermées, incitation au télétravail. Les mesures pleuvent et s’ajustent à la statistique exponentielle du nombre de cas de Covid-19. Pourtant, autour de moi et un peu partout en France, l’insoutenable légèreté de la bêtise couplée d’un certain déni, circulent encore.

Ma région n’est pas encore très touchée par l’épidémie, et je mesure ma chance. Mais ici le soleil brille et c’est un peu comme à Oran dans « La Peste » d’Albert Camus : Beaucoup cependant espéraient toujours que l’épidémie allait s’arrêter et qu’ils seraient épargnés avec leur famille. En conséquence, ils ne se sentaient encore obligés à rien. À Paris ce dimanche, malgré les mesures, la prise de conscience ne semblait pas beaucoup plus significative. Il suffit de voir les photos désinvoltes de scènes ne respectant nullement les mesures prophylactiques qui circulaient sur les réseaux sociaux.

La quasi totalité de ma famille habite la province de Piacenza, en Italie. Une des zones les plus touchées par le Coronavirus. Comme on le sait, tous sont confinés depuis plusieurs jours. Via internet, je suis l’actualité sur les quotidiens italiens, je lis les témoignages du personnel des soins intensifs de l’hôpital de Piacenza. Un décalage semble encore subsister entre certains jeunes italiens « qui ne vont pas mourir du Coronavirus » et un corps médical au bord de l’implosion.

Mon cousin A. m’écrit. Il habite à Varese. Il est inquiet pour sa mère, ma tante. Elle va bien, ajoute-t-il, elle a des réserves de nourriture. Mais il ne peut plus aller la voir dans son village des colli piacentini. Interdiction de voyager hors de sa commune, sauf circonstances exceptionnelles. Je me dis que dans ce petit village perché dans la colline où ma tante habite et où enfant je passais tous mes étés, le Coronavirus n’a pas trop eu l’occasion de s’accrocher. Erreur. Les statistiques disponibles m’indiquent quelques cas dans le coin. Seules quatre communes de la province de Piacenza ne sont pas touchées. Des petits villages qui me paraissaient le bout du monde lorsque plus jeune, j’arrivais avec toute mon urbanité, pour les vacances d’été. Tous touchés.

Ma cousine E. vit vers Parme. Elle aussi me raconte. « La situazione e veramente difficile, sembra di vivere in uno di quei film irreali drammatici, che pensavo di vedere solo al cinema o in tv e non di vivere nella realtà ! »

Ce matin, j’ai enfilé une tenue de sport et je suis allée courir quelques petits kilomètres dans un environnement où les précautions d’usage pouvaient être respectées. Il n’est pas du tout certain que dans quelques jours, je puisse encore me mouvoir au grand air. Des mesures de confinement plus drastiques pourraient être décidées. Je ne suis pas au front avec toutes les équipes médicales qui font et feront face, j’aimerais faire plus, mais ma seule humble contribution pour les aider dans leur mission sera de m’adapter.