Dimanche 6 janvier 2019, les bouteilles de champagne du réveillon avaient tout juste eu le temps d’atterrir dans le conteneur à verre, le sapin de Noël se déshabillait et le foie gras avait viré son substantif pour ne conserver que le gras… quelque part sur mes cuisses. Qu’à cela ne tienne ! J’étais confortablement installée dans le TGV, direction Lille, à nouveau étudiante pour six mois !
Dit comme ça, ça sonne un peu comme dans un teen movie. Rencontrer des nouveaux potes, boire des verres sur La Grand Place, lire des romans dans le train et potasser sporadiquement ses cours, genre ouais… TKT j’ai le temps. La version Étudiante adulte est cependant moins cinéphile et ressemble plutôt à ça : Les études en plus du boulot, des heures supp’, des embouteillages, des courses, des contraintes sociales. Et puis le stress pour faire sa valise in extremis, attraper son TGV pour Lille une fois par mois, sans compter qu’on rêverait d’avoir des journées entières à disposition pour pouvoir réviser ! Plus de temps pour lire – je ne parle même pas de bloguer – une épilation qui laisse à désirer et des cernes installés non instagrammables.
Alors ? c’est quoi cette formation ?
L’Institut National de la Propriété Industrielle a mis en place depuis plus de dix ans le CAB, un Certificat d’assistant brevet venu légitimer une profession de niche méconnue, pour laquelle aucune filière scolaire n’existe en France et qui de facto s’apprend sur le tas. Cinq modules de deux à trois jours qui se déroulent à l’INPI Lille et nous permettront de connaître de manière approfondie toutes les étapes de procédure de la vie d’un brevet d’invention. Exit le teen movie, bonjour notions juridiques, délais de procédure, remèdes juridiques. La rigueur est de mise, la précision requise et peut-être ai-je sous-estimé l’investissement personnel à fournir…
Let’s take a CAB !
Premier module, Caroline et Bérangère de l’INPI nous accueillent très sympathiquement, explications sur le déroulement de la formation, les règles à respecter, le fonctionnement. Bienvenue à bord ! La place de la propriété industrielle dans la vie économique, le procès en contrefaçon, le décor est planté, le programme est dense et très rapidement une citation de Goethe m’envahit … « Avec la science augmente le doute. » Sommes-nous dix-sept à ressentir les premiers remous cérébraux causés par le retour sur les bancs de l’école ? Ou en proie à un flottement, suis-je victime d’une crise de milieu de vie subite ? Dix-sept candidats, une promotion qui de prime abord semble dégager un bon esprit de bienveillance et de sympathie. De quoi se détendre. Et on se met déjà d’accord pour un dîner de groupe dans Lille le soir-même. Chouette ! Profitons-en car dès notre retour dans nos foyers, commenceront les révisions du premier module en vue du contrôle continu se déroulant au tout début du module suivant.
Les procédures de brevet, le sucre et le Furet du Nord
Je m’habitue aux trajets de TGV Marseille -Lille, l’aller est dédié aux dernières révisions tandis que le retour se déroule sans objectif précis, bien que souvent je lise un roman acheté à la librairie lilloise Le Furet du Nord. Si j’affectionne et fréquente dès que possible les libraires indépendantes, cette immense librairie de La Grand Place devient très vite mon refuge. Un sas de décompression où je relâche les tensions accumulées. Les modules de procédure française, internationale et européenne contiennent un nombre important de notions, règles, délais et taxes à retenir. Beaucoup de points de détails qui ne sont pas sans importance. J’ai parfois l’impression de me noyer dans une masse d’information que mon esprit de synthèse peine à assimiler. Ici, la mémorisation de chaque règle s’impose. Parfois, à force de m’obstiner, mon cerveau s’égare dans une brume aussi dense que celle du lac Léman dans Adieu au langage de Jean-Luc Godard. Durant les contrôles, il s’agit d’être précis dans nos réponses, rapides, et d’avoir suffisamment révisé pour s’assurer la couverture de tout le champ des possibles. Souvent, l’impression de devoir beaucoup travailler pour me sentir au niveau me joue des tours. Je mange un tas d’aliments sucrés. J’ai pris du poids. On dirait Benjamin et ses pains au chocolat dans Première année. Un soir, au restaurant, je demande au groupe : Y’a que moi qui rame ? J’ai toujours l’impression de ne jamais en connaître suffisamment sur le sujet. C’est pareil pour vous ? C’est pareil. On révise tous énormément, sérieusement, on flanche moralement par moments, heureusement pas tous en même temps, on dîne en groupe, on teste les bonnes adresses lilloises, j’achète des gaufres à la pâtisserie Meert, toujours cette envie de sucre, on s’encourage, se soutient, j’adapte ma stratégie, les mois passent, mes notes montent, la tension aussi. À nos enfants qui veulent aller à la piscine, on dit Oui mes chéris, on ira, mais après le 21 juin ! Y’a quoi maman le 21 juin ?
Examen final
Afin de pouvoir me concentrer sur les dernières révisions, je pars le 19 juin pour Lille. Dans le TGV, je ne trouve pas mon siège. Étrange circonstance. Je parcours la voiture, un duplex, le bas, le haut, le numéro de ma place n’existe pas, un peu comme le quai 9 3/4 de King’s Cross dans Harry Potter… je me résous alors à aller voir le contrôleur qui m’indique un autre fauteuil libre et intérieurement, je me demande comment interpréter ce clin d’oeil poudlardien 😉
21 juin, Jour J, quatre gouttes de Rescue Fleurs de Bach au réveil. Je suis calme, sereine, concentrée, à l’heure. L’écrit se déroule sans coups de stress ni trous de mémoire, mais le flacon de Rescue posé sur le pupitre me sert tout de même de béquille. Il est indiqué un maximum de six prises par jour, je gère les doses. Sortie de l’écrit, je me rue sur les viennoiseries. Encore une fois cette envie de sucre. Pas l’ultime de la journée puisque lorsque l’ordre de passage pour l’oral est affiché, j’apprends que je passe en dernier. Avantageux ou pénalisant, je préfère ne pas y penser. Pour rester concentrée, je garde le nez dans mes cours, une attitude sans doute un peu austère, mais chacun gère à sa manière. À combien se chiffre mon taux de glycémie lorsque je suis appelée pour l’oral, aucune idée. Les beignets du buffet étaient un délice. Cependant, le calme et les premières paroles posées de Baptiste Borie et Guillaume Faget, les deux jurés, sont en parfaite adéquation avec mon état d’esprit, je déroule mon exposé sans sourciller. « Atteindre le doute du doute, c’est le commencement de la certitude ». Les résultats sont proclamés en fin de journée, j’entends mon nom, j’entends reçue, j’entends Major de promotion !
Bye bye Lille
Le lendemain, dès l’aube, je suis sur le quai de la gare. Malgré l’heure matinale, je prends la mesure de cette jolie réussite à laquelle je ne m’attendais pas, mes pensées sont joyeuses et je me dis surtout C’était vraiment une très chouette promo !
Dans le train, confortablement installée sur une place isolée, je scrolle sur mon smartphone et reprends contact avec l’actualité du moment. Aujourd’hui commencent les huitièmes de finale de la Coupe du Monde féminine de la FIFA. On annonce une canicule pour la semaine prochaine. Les choses reprennent leur cours.
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J’adresse mes remerciements à Bérangère Deleau et Caroline Hoelvoet de l’INPI, à Olivier Nicolle, directeur du CAB, ainsi qu’à tous les intervenants formateurs, plus particulièrement Baptiste Borie et Guillaume Faget.