On écrit le roman qu’on aurait aimé lire, paraît-il. … voilà une phrase qui ne tient nullement la route dans mon cas. Car tous les romans que je rêve de lire sont déjà écrits. Écrits et publiés aux Éditions de Minuit.
Pour cette rentrée littéraire de septembre, une primo-romancière a le privilège de pénétrer l’antre de ma maison d’édition favorite. Comme à chaque découverte d’auteur Minuit, je me demande si l’écrivain va m’embarquer inconditionnellement, comme tous les autres du prestigieux catalogue. Si je vais retrouver les indicibles et implicites ingrédients qui font la signature d’une ligne éditoriale que j’affectionne. La question se pose et rejoint une interrogation plus générale ayant fait l’objet d’un essai : Existe-t-il un style Minuit ? *
Au titre d’humble lectrice, je peux exprimer que, sans parler de style, les auteurs Minuit me semblent posséder une sensibilité et une inspiration communes, une recherche formelle, des affinités littéraires. Pauline Delabroy-Allard, auteure de « Ça raconte Sarah » suit la lignée. Et soyons directs, c’est sans hésitation mon roman coup de coeur de la rentrée !
Le roman se déroule en un prologue et deux parties. Deux parties à l’atmosphère, au rythme et aux voix différentes, écrites comme l’objet qu’elles racontent.
La première partie, une envolée, une tornade, exaltée, qui commence au printemps. « Un printemps à rendre mélancolique n’importe qui. » Un printemps qui raconte le début d’une passion entre la narratrice et Sarah. Qui raconte Sarah, violoniste, un moulin à paroles, d’une drôlerie irrésistible, trop maquillée, qui mange un pain au chocolat chaque matin avec un café au lait, qui dit un jour, « Je crois que je suis amoureuse de toi ». Sarah qui ressemble à un personnage de roman. « Dans cette tempête, elle est capitaine de navire. Je deviens femme de marin. » Sarah con fuoco, le tournoiement de l’âme. L’été, l’automne, Sarah qui part en tournée, qui revient, la narratrice qui s’épuise, dévorée, vampirisée. La musique. Marguerite Duras. La passion. Les quatre saisons. Deux années.
Deuxième partie, le rythme et la couleur se modifient. La narratrice quitte tout, fuit, s’isole en Italie. Ça sera Trieste. La narratrice qui n’est plus sûre, ne sait plus vraiment ce qui s’est passé. (Je pense un peu au séjour italien du personnage de La salle de bain de Jean-Philippe Toussaint). Spritz après Spritz, elle perd pied, tout se mélange. A Trieste, la bora, le vent qui rend fou mugit, comme si l’esprit de Sarah se vengeait. Et la musique qui la poursuit. Le quatuor de Schubert tourne en boucle, qui l’étourdit, l’envahit, la possède, con fuoco.
Ça raconte Sarah, un superbe roman qui fait tourner la tête !
Ça raconte Sarah, Pauline Delabroy-Allard, Les éditions de Minuit.
* Existe-t-il un style Minuit, Michel Bertrand, Karine Germoni, Annick Jauer, Presses Universitaires de Provence