Préambule
Ça aurait dû être Nice. Un stage d’écriture, la Prom’, musée Chagall, musée Matisse, joli programme, … avant l’annulation du stage. Je déplaçai mon pion sur un stage à Paris. Mais malheureuse au jeu … et le stage parisien connut le même sort que son alter ego niçois. Je me retrouvai tel un chausson de vair sans bal, mais ne jouons pas les drama queens, Paris sans atelier d’écriture reste Paris ! La ville où, en créature vampirique, je puise culturellement pour me ressusciter. Annuler le voyage ? Sous aucun prétexte. Exit le stage d’écriture et le cogito, bienvenue les copines et les expos !!!
« Signac Les harmonies colorées », ouverture du bal !
« Vous avez des bonnes vibes ! ». Le chauffeur Uber me dit ça. Il ajoute que les clients avec le smile, c’est pas trop l’habitude. Ben chouchou ! Je viens de passer quinze jours sur une île ensoleillée, sans voitures, sans pollution et presque sans cons, tu viens me chercher avec ta caisse et tu me conduis au musée pour que je prenne pas la pluie. Je peux t’offrir un sourire ! J’arrive donc au musée Jacquemart-André sous la pluie mais souriante.
Paul Signac adopte une nouvelle technique initiée par Seurat, il juxtapose de petites touches de couleur pure sur la toile, technique qui sera qualifiée de « néo-impressionniste ». Le peintre ne mélange plus les couleurs sur la palette. Ainsi, pour Seurat et Signac, une couleur n’existe pas en tant que telle, mais par rapport à celles qui l’entourent.
Un peu trop d’affluence à mon goût dans les salles exiguës. Mais le parcours est cohérent, coloré à souhait pour faire oublier le ciel gris hors murs. Mon œil se laisse enivrer par le mélange optique des tons. « Saint-Tropez. Fontaine des Lices », « Avignon. Matin », « Juan-les-Pins. Soir », des tableaux qui incarneront dans la mémoire collective, toute une idée de ce qu’est le Sud. Je refais un tour de l’exposition, m’attardant devant mes tableaux coup de cœur, avant de ressortir du musée et trouver dans la cour de l’hôtel particulier, un ciel presque bleu. Je m’assois sur un banc et pour quelques minutes encore, je rêve ma vie en couleur.
« Paris pour école 1905-1940 », expo coup de cœur !
Le lendemain, la météo parisienne ne s’est pas améliorée, mon parapluie a pris un abonnement pour des balades en tote bag. Chagall, Modigliani, … pas la peine d’en rajouter pour me convaincre de visiter le musée d’art et d’histoire du Judaïsme.
En 1924, au Salon des Indépendants, la question de l’origine des artistes prend de l’ampleur, une présentation par nationalités plutôt que l’habituel ordre alphabétique va susciter la polémique. Nait alors l’expression « École de Paris » de la plume d’André Warnod qui défend les artistes marginalisés.
Dès mes premiers pas dans les salles de l’exposition, je suis conquise, aspirée, je lâche prise. Le parcours est chronologique, le contexte historique est prégnant. Le Bateau-Lavoir de Montmartre, La Ruche de Montparnasse, dans les premières salles, ça respire l’ambiance « Bohèmes » de Dan Franck, livre que j’avais lu à sa sortie. Méditative face aux yeux vides de « La Chevelure noire ou jeune fille brune assise » d’Amedeo Modigliani, je rayonne devant les couleurs vives des « Prismes électriques » de Sonia Delaunay. La lumière et les couleurs folles de « L’Atelier » de Mark Chagall m’enflamment.
En descendant l’escalier, je découvre une discrète arrière-cour. Elle héberge une œuvre de Christian Boltanski. Quatre-vingt affichettes collées de manière aléatoire, évocation des noms de tous les habitants des lieux en 1939, juifs et non-juifs, se fondant sur des recherches d’archives.
Plus loin, l’air songeur de la « Femme au châle polonais » de Moïse Kisling me questionne. Dans la dernière salle, on entend un texte de Chagall, hommage poétique aux artistes disparus lors de la Shoah et préface du livre de Hersch Fenster « Nos artistes martyrs ». L’émotion me saisit. Voix pénétrante, texte enveloppant, je quitte la dernière salle, les larmes ne sont pas loin.
« Le Paris de Dufy » … et le mien aussi !
Mercredi, le soleil s’est enfin décidé. Je passerai la journée à Montmartre et comme je déteste le métro, j’envisage un itinéraire bus depuis Gare de Lyon. Ligne 91 jusqu’à Gare de l’Est, puis 54 jusqu’au Sacré Cœur. Dans le 54, mon sage chemiser blanc jure un peu avec l’ambiance Collé-Serré qui règne. Mais dans le bus blindé, déjà, je papote avec les passagers dont j’ai failli écraser vingt fois les pieds.
Rue Cortot, le musée de Montmartre est un havre de paix avec vue sur les vignes. Rien que pour le lieu et le salon de thé, la visite vaut le coup. Sans parler de la collection permanente. La couleur dominante de l’exposition est le bleu. Selon Raoul Dufy, « le bleu est la seule couleur, qui a tous les degrés, conserve sa propre individualité. » Paris traverse toute l’œuvre de Dufy. Dans ce contexte, je ne peux que me sentir merveilleusement bien. Mon tableau coup de cœur se trouve en fin de parcours : « Les astres ». Je n’ai plus envie de quitter Montmartre, et … Je ne veux me résoudre aux adieux.
« Elles font l’abstraction », l’expo la plus féminine !
Je pars à pied. Trente minutes de marche. Devant le centre Pompidou, c’est la première fois que je vois ça, l’esplanade est .. vide. Pas de files interminables pour accéder au musée. Même dans la chenille qui m’emmène au dernier étage, je suis seule.
Ici, je retrouve les œuvres très colorées de Sonia Delaunay, une artiste que j’apprécie de plus en plus. L’exposition est notamment un éloge à la danse. J’aime ces tentatives de géométrisation des corps car elles me donnent quelques repères pour comprendre les œuvres.
L’exposition révèle les apports à l’histoire de l’art des « artistes femmes ». Le contexte occidental et masculin est reconsidéré. Ma curiosité est éveillée et mon œil s’éduque. Sens en alerte, jauge de stress au plus bas, je poursuis ma visite en passant par la collection permanente d’art moderne et devant tant de chefs d’œuvres, mes yeux surexposés se mettent à briller…
Modigliani, Matisse, Chagall, Miró, Klein, Dufy ! Paris !
« … le soleil au zénith, c’est le noir : on est ébloui, en face, on ne voit plus rien. »
Raoul Dufy