Expé ou pas expé ? That is the question !
Chloé Delaume, on la connait surtout comme l’autrice exploratrice de jeux littéraires, l’adepte de littérature expérimentale et de titres de romans comme je les aime. Néanmoins, dans son dernier roman « Un coeur synthétique », la question est posée l’air de rien à la page 113 : La littérature expérimentale est-elle morte, n’est-ce que le creux du cycle ou doit-on l’enterrer. Sans la qualifier radicalement d’enterrée, il semble que Chloé Delaume ait eu l’envie de tester une écriture plus « normale » et donc plus accessible car C’est tout le problème de l’expé, c’est chouette mais on n’y comprend rien (p. 113). L’expérience est plutôt réussie puisque le roman s’est vu décerner le prix Médicis !
Adélaïde, 46 ans, une Bridget germano-pratine ?
Mais oui, Adélaïde est célib’, Adélaïde est pop, elle se trimballe quelques kilos de trop, boit des litres de Coca Light, passe Noël toute seule (ça c’est rude quand même), ne cuisine pas, transforme les paquets de Springles goût fromage en substituts de repas, se lève avec la gueule de bois. Conséquence inévitable dont toutes les quadras et plus (même si pas affinités) sont familières : l’achat d’un sérum anti-âge et d’une crème de jour qui coûte une blinde. Allez, ne me dites pas que vous faites l’impasse, je ne vous crois pas ! Adélaïde rêve d’être mariée, se dit Pourquoi pas moi et en même temps, s’avoue qu’être célibataire c’est quand même pratique. Le paradoxe du célibat. Et pour les copines mariées, c’est pas beaucoup plus confortable :
Judith dit : Je ne m’appartiens plus. Adélaide répond : Moi, je ne suis à personne. Clotilde conclut : N’oubliez pas, la propriété c’est du vol. (p. 79)
Certes, les ingrédients du starter pack Bridget sont là, et puis le roman est drôle, on navigue dans les sphères de l’édition (il paraitrait que c’est assez représentatif du milieu), on fantasme avec Adélaïde sur Richard dans le magasin bio, sur Luc le dj électro qui les préfère jeunes et blondes, mais Chloé Delaume est une écrivaine, dans ce roman il y a évidemment la question du temps qui passe et de comment il passe pour une femme, il y a comment concilier féminisme et envie d’être heureuse en couple, il y a aussi la littérature et sa marketisation et il y a l’écriture de Chloé Delaume, une voix que l’on reconnait même lorsque l’autrice tend vers une écriture « normalisée ».
D’amour ou d’amitié
Le couple, chez Adélaïde, au bout d’un moment c’est inévitable, ça tourne à l’ennui. Et par conséquent, à la rupture. Le coeur d’Adélaïde voudrait avoir toujours quinze ans. Mais « Le coeur synthétique », c’est l’histoire d’une femme qui à quarante-six ans, entend sonner le glas de ses rêves de jeune fille (p.13). Alors qui est là à chaque fois que l’on redevient célibataire ? Les amies. Elle n’est pas la seule à en faire le constat, mais Adélaïde, après avoir tourné et retourné la question du couple et de ses déceptions, passe à autre chose. Ce sont ces liens d’amitié, durables et non conditionnés au carcan conjugal, l’amitié avec Judith, Clotilde, Hermeline et Bérangère qui préservent de l’abîme.
Pour ce qui me concerne, « Le coeur synthétique » fut une lecture en parfaite adéquation avec mon humeur du moment et l’un de mes coups de coeurs de la rentrée littéraire !
La citation
De plus en plus de monde se réorganise au cours de la quarantaine, Adélaïde se dit : Ouvrir une librairie. Puis se rappelle qu’elle ne possède rien et n’aura pas de prêt bancaire. Adélaïde déteste la nature, la campagne, son projet existentiel ne peut qu’être à la ville. Adélaïde, déjà, a habité ailleurs. Elle s’accroche à Paris parce que c’est le seul endroit où les gens marchent vite en étant bien habillés.