Déterminée à me rendre plus souvent au théâtre en 2019, je n’attends même pas début janvier pour dérouler le plan d’action des bonnes résolutions culturelles. Le sapin de Noël est encore apprêté, les restes du chapon (oui, j’ai cuisiné un chapon :-)) stockés dans le frigo et me voilà parcourant les programmes des théâtres marseillais, prête à anticiper de quelques jours ma résolution, histoire de ne pas laisser s’enfuir par le conduit de la cheminée mon envie.
Dimanche 30 décembre 2018, Scala de Yoann Bourgeois au théâtre La Criée. La représentation est à 16h ! Pas d’excuse de type « Trop fatiguée pour sortir », « Il fait froid », « Le métro ça craint le soir » ou « Demain c’est le 31, ça va faire deux soirs d’affilée ».
Je me documente un peu. Scala est en fait le spectacle d’inauguration du théâtre parisien Scala, cette salle située au 13 boulevard de Strasbourg, qui, rachetée par Mélanie et Frédéric Biessy, renait de ses cendres en septembre 2018 après être restée des années une ruine à l’abandon, vestige d’un théâtre construit en 1873, ex théâtre à l’italienne, devenu café-concert dans les années 30, puis cinéma porno dans les années 70.
Et Yoann Bourgeois, le créateur et metteur en scène ? Circassien, poétique, danseur. Tout pour me plaire et le signe que mon choix va donner raison à mes résolutions.
J’entre dans la salle, m’assois sur mon fauteuil rouge, bien placée. J’observe la scène sombre et le fourmillement des spectateurs qui progressivement remplissent l’espace. Sensation de bien-être. Un équilibre s’installe avant que le spectacle commence, un sentiment qui m’habite si peu souvent, celui d’être en harmonie avec moi-même, entre effervescence du public qui scrute les numérotations des fauteuils et perspective d’une expérience artistique imminente.
Le premier acteur entre en scène, l’éclairage de la salle ne s’est pas encore éteint, l’acteur fait le geste, clac, extinction des lumières. Jolie entrée. La pièce commence. Je respire profondément.
Les acteurs entrent, sortent. Tout d’abord des garçons. Sosies, chemise à carreaux, jean, baskets. Le même, pas le même, un autre, ou un seul qui crée dans sa tête les autres qui n’existent pas ? Solipsisme ? Les filles entrent ensuite en scène, en short jaune et haut gris, habillées pareil, coiffées pareil elles aussi. Je m’y perds, avec délectation. Les artistes disparaissent derrière une porte, s’engouffrent dans le sol, souplement aspirés. Les objets tombent, se remettent en place, tombent encore, se remettent en place à nouveau, tels des Wakouwa, ces petits jouets suisses. Et dans la salle, les enfants rient.
On croirait ces êtres en inertie, corps qui chutent sur les deux trampolines placés à gauche et à droite de la rampe, rebondissent et se replacent, s’évaporent. Le spectacle se déroule sans paroles, dans un enchainement algorithmique auquel on pourrait reprocher le côté répétitif. Mais sur moi, la répétition a un effet de transe, comme le Boléro de Ravel. Elle participe à l’envoutement. Les corps se laissent glisser sur l’escalier, la scala (échelle en italien), sont aspirés par le sol qui s’ouvre et se referme, effet de gravité. Les artistes, virtuoses du trampoline, se laissent chuter encore, rebondissent comme s’ils étaient dans l’espace, disparaissent, réapparaissent en haut de l’escalier, glissent encore, rebondissent, rampent, le sol s’ouvre, avale les corps, se referme. Circularité absurde et sisyphéenne.
C’est fluide, léger, kafkaïen, poétique, magique et virtuose. Un spectacle qui m’a charmée, une pièce qui termine si joliment mon an 2018.
Scala, théâtre, danse et cirque. Conception et mise en scène Yoann Bourgeois