Ne mange pas le coeur… « Mort d’un cheval dans les bras de sa mère » de Jane Sautière

« N’importe quel enfant s’émerveille de croiser un animal. Dans la forte charge de la découverte du monde, la place que l’animal occupe est la plus vaste. »

Croire que les fleurs sont habitées par des fées, conserver cette croyance à l’âge adulte, être cheval galopant, sentir l’herbe humide, libre, un chien comme un frère, des arbres amis, un caillou de granite précieusement conservé; se sauver de la mère noircie par les fille et fils perdus.

Quitter l’Iran, le pays natal, se retrouver dans un Paris qu’on ne regarde pas. Une phrase de Stig Dagerman « Ma vie n’est pas quelque chose que l’on doive mesurer. ». 

L’homme et l’animal, le langage comme perte, oui, l’homme a perdu la fluidité du rapport au monde, la bête non. Et le temps passe, « les magnolias ne sont plus fleuris ». L’animal, sans énonciation, sans démonstration; l’homme incapable de modestie.

Le lapin, son nom est oublié, mais costumé de robes de poupées il rappelle le lapin toujours en retard de Lewis Carroll. Le chien, immédiateté de l’intimité, une histoire d’amour, le chien confié à l’oncle et à la tante, « Lorsque nous sommes repartis de la ferme, le chien a couru derrière la voiture, stupéfait de ne pas être emmené. J’ai essayé longuement de ne pas imaginer la suite pour lui. »

Les chats, plusieurs. Le premier, celui de la mère, sans lien noué, le suivant a mis toute la maison de bonne humeur, d’autres ensuite, qui se cachent, que l’on cherche, relation symétrique. Le chat se lève et respire l’aube, observe les charmes de celle-ci, le chat qui connait le coût de la dépendance. « La petite », on la cherche partout dans le parc, elle ressort des buissons, retrouvailles. « L’animal rend neuves les joies. » Petits chatons, le deuxième qui ne vivra pas, « Un Sopalin pour linceul, une benne à ordures pour sépulture. » Et le chat disparu, pas retrouvé. La conscience de sa souffrance à lui, la souffrance de cette conscience d’humain, et le chat qui ne souffre pas de cette souffrance, la nôtre.

Un animal qui meurt, deuil impartageable. Le chat disparu savait si bien exorciser le mal humain…

Selon Deleuze, l’important c’est d’avoir un rapport animal avec l’animal. L’enfant sait mieux faire que l’homme qui dans sa supériorité a oublié, « nous ne savons pas être à la hauteur de notre hauteur. » 

Les animaux qu’on rejette, qui nous dégouttent, nous font peur, qu’on écrabouille, qu’on tue avec un appât; trahison de l’enfant que nous étions et qui n’aurait jamais tué un animal. Pourquoi ceux-là ? « Être une proie, toute la vie dans une fuite permanente devant le danger. »

Et puis ceux qu’on mange. Pas ceux avec qui on entretient une relation affective, non, … mais les autres. « Ne mange pas le coeur » enseignait Pythagore aux initiés … il ne fallait pas avaler le chagrin.

« Le monde est à eux, nous le pensions nôtre, exclusivement, et il est bon d’être démenti. »

***

Dans ma véranda, une volière, nos deux callopsites chantent, sont-elles heureuses ? On essaie de faire en sorte. Je termine la lecture de « Mort d’un cheval dans les bras de sa mère » de Jane Sautière, un titre en forme de cadavre exquis, une lecture poétique, intense, analyse fine de notre conscience d’humain, un écrit où l’empathie est très prégnante. Je n’aurais pas su rédiger une chronique analytique de ce texte, j’ai donc opté pour ce parcours sensitif qui suit l’écriture fragmentée de l’auteure.

Moi aussi j’ai envie de croire que les fleurs sont habitées par des fées, de retourner en enfance, une autre enfance, qui ne connait que la vie, dans laquelle le chien ne court pas derrière la voiture, qu’on ne laissera pas. J’ai envie de cajoler mon chat, de retrouver mon instinct originel en observant l’aube, de sauter par dessus une rivière, libre, queue de cheval châtain au vent en guise de crinière. Accepter la perdition du langage, accepter de nommer les choses, notre séparation d’avec les bêtes. Une part d’échec de l’humain.

Généreusement, l’imaginaire de Jane Sautière nous offre, tout en mots et en grâce poétique, une lecture enveloppante de ce monde qui existe sans nous. Un monde qu’elle a su incarner avec la beauté et la posture élégante d’un cheval galopant.

« Mort d’un cheval dans les bras de sa mère » Jane Sautière, éditions Verticales
ISBN 978.2.07.276638.1

Et aussi : En podcast sur France Culture, Par les temps qui courent « Le monde existe sans nous, mais nous avons la charge de le faire vivre » Jane Sautière