Comme chaque début d’été, je me retire des sollicitations de la vie matérielle et embarque pour l’île des Embiez, avec dans mes bagages quelques t-shirts, autant de shorts en jean et ma pile de romans. Pour les tenues vestimentaires, c’est assez clair et contextuel. Concernant la pile de romans à emporter, le choix est plus compliqué car il n’est pas seulement question de choisir un roman de qualité, encore faut-il qu’il corresponde à mon humeur insulaire estivale qui passe de lectures très urbaines à, par exemple, Big Sur de Jack Kerouac.
« Cet été-là, Julie et sa fille Neko bronzent sur une plage de l’île du Levant. » Ainsi débute l’une des quatrième de couverture de ma pile d’ouvrages. Totalement raccord (si on excepte le critère Tenue Vestimentaire) ! J’emmène ce roman sur mon île des Embiez !
Bienvenue à Héliopolis, la cité naturiste de l’ile du Levant, pour une parodie aux acrobaties littéraires jubilatoires : Je suis capable de tout de Frédéric Ciriez, publié en 2016 aux éditions Verticales ! Avec un tel titre et connaissant désormais la plume de l’auteur, j’ai un peu la trouille… Où Frédéric Ciriez va-t-il cette fois-ci emmener son lecteur ?!
Découvrir la plume de Frédéric Ciriez à la sortie de Bettie Book fut un moment littéraire intéressant et inattendu. Une lecture contenant mes ingrédients favoris tels que recherche formelle, humour, déstabilisation du lecteur et une certaine aptitude à capturer le référentiel des 16-25 ans. Mélo, lu au printemps et proposant un triptyque sur Paris avait laissé, tel un parfum, une note de fond poétique et urbaine dans ma mémoire de lectrice. L’écriture audacieuse et non-conformiste de Frédéric Ciriez a tout pour me séduire et prend une place particulière dans ma bibliothèque où les romans des éditions Verticales commencent à jouer des coudes pour piquer l’espace des autres bouquins sur l’étagère.
Retour à Héliopolis. Au Sun Beach Club, Julie lit Mental coaching, ma méthode, mes succès, le livre de développement personnel du moment. Neko la fille de Julie, adolescente, lit Bad Love Hackers, un manga, ou plus spécifiquement un yaoi. « La mère lit et la fille lit et le soleil cogne haut dans le ciel ». Dans l’ouvrage de mental coaching, Julie souligne les idées importantes. Julie, du haut des projets d’éoliennes qu’elle déploie dans sa vie professionnelle, se pense importante. « Autour d’elle, les vacanciers semblaient frivoles et infantiles. Sans enjeu. Mais elle, Julie, avait d’autres ambitions. » Traduction : Julie cherche l’amour, une rencontre. Et lit l’ouvrage de l’homme ayant atteint le moi de cristal.
Kouros et Chloé. Sì all’amore, sì alla vita ! Julie retrouve Giacomo, rencontré sur Nostresscode, un site de rencontres pour adeptes de la « vie naturelle », comprenez naturistes. Pendant ce temps, Neko poursuit la lecture des cinq tomes de Bad Love Hackers. Giacomo, demi dieu aux six orteils, parfum Kouros d’YSL, un type à mi chemin entre Indiana Jones qui vous sauve des vilains serpents et Paulo le temporaire petit ami de Rachel dans Friends. Julie, sous l’effet de la cristallisation ou des effluves de son propre parfum, Love Story de Chloé ou du soleil sur sa peau nue ou de sa récente lecture, est sous hypnose. L’amour, croit-elle. « Giacomo revient avec un iPhone et me prend en photo. Ce seront de belles images de notre première rencontre, un truc qui n’appartiendra qu’à nous. » Euh… t’es sûre dame Julie ? Neko l’adolescente a évidemment une vision tout autre et plus réaliste de l’utilisation potentielle des photos et vidéos sur les réseaux sociaux…
Entre boissons énergisantes ISO X power drink blue et découverte de « la flore » dans une forêt d’arbousiers, sous une pluie de pétales aux airs de publicité pour le parfum Flower de Kenzo, Frédéric Ciriez détourne les codes du développement personnel et du roman sentimental avec virtuosité.
Je suis morte de rire en reconnaissant des messages souvent entendus dans le monde des entreprises vouant un culte à la surperformance et je puis l’avouer, j’ai jubilé lorsque les clins d’oeil au roman sentimental, jeux à deux dans l’eau, dialogues pseudo amoureux, baisers sous la cascade, se sont succédé. Mention spéciale pour Neko et les jeunes ados de Marseille où je retrouve la capacité de l’auteur à se placer complètement dans le référentiel ado, avec, me semble-t-il une certaine forme d’affection.
Si je n’ai sans doute pas saisi 100% des codes détournés dans ce roman, telle une spectatrice qui regarderait Scary Movie sans avoir vu Scream, qu’importe. Cette balade en tongs dans le maquis de l’île du Levant confirme mon engouement pour les œuvres de Frédéric Ciriez.
Cher Frédéric, sachez-le, vous êtes désormais mon nouveau mentor ! Votre prédécesseur était Samuel Beckett. Procédons donc à un petit refresh ! Ciriez – Beckett c’est plutôt pas mal comme sources d’inspiration, mais vous présentez l’avantage certain d’être vivant. À quand votre prochain roman ? Oui, vous êtes capable de tout.
« Je suis capable de tout » Frédéric Ciriez
Éditions Verticales